Bruno Doucey, éditeur, écrivain, poète, m’a accueillie à la Fontaine O Livres, rue de la Fontaine- au-Roi,
dans le onzième arrondissement de Paris.
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Je voulais comprendre ce qui faisait courir cet acharné des mots avec qui Christian Poslaniec réalise des anthologies de poésie qui sont franchement superbes.
Je voulais savoir ce qui pouvait motiver un homme à se consacrer aux textes comme ça : en écrire, en lire, en éditer, en rassembler.
Éditeur indépendant depuis plus d’un an et déjà riche de onze trésors, celui qu’une fée semble avoir condamné à servir les livres coûte que coûte est le fier capitaine d’un bateau qui affronte les lames de front.
Entretien avec Bruno Doucey, en la présence de Christian Poslaniec, dans l’entourage de très beaux livres.
Réjane : Dans le blog Rick Bass, nous avons à cœur de présenter le travail de créateurs dont nous trouvons l’activité remarquable. Les toutes jeunes éditions Bruno Doucey, que vous avez créées en mars 2010, après avoir dirigé six ans les éditions Seghers, nous plaisent beaucoup, ce pour trois raisons : elles nous permettent de découvrir des textes impressionnants, elles s’attachent à la réalisations de livres beaux à l’œil, elles sont indépendantes.
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A ces trois raisons, il faut en ajouter une quatrième : les éditions Bruno Doucey ont permis à un auteur, Christian Poslaniec, dont nous suivons et apprécions le travail, d’être co-auteur avec vous d’un très beau livre, publié récemment : Outremer, trois océans en poésie. Aussi, pour clore mon introduction et avant de vous laisser la parole, un mot me vient-il. Merci. De même qu’une question s’impose à moi :
Votre travail aux éditions Pierre Seghers, qui a été remarquable (vous avez en effet réussi à publier ou rééditer plus de cent ouvrages de 2003 à 2009), de toute évidence se poursuit avec cette maison d’édition : Outremer est le dixième ouvrage des éditions Bruno Doucey, tandis qu’un onzième livre : Par la fontaine de ma bouche, de Maram al-Ashri, vient de paraître.
Comment avez-vous fait pour passer d’une grande maison d’édition (Robert Laffont), rattachée à un groupe (Editis), à une maison indépendante, qui, à un an, tient debout sur ses deux jambes ?
Bruno Doucey : On a fait pour moi puisqu’on m’a gentiment fait prendre la porte. C’est la première chose que je dois dire. Lorsque j’ai pris la direction des éditions Seghers en 2002/2003, on me disait :
On ne vous demande pas de nous faire gagner de l’ argent, on sait que c’est impossible, mais vous n’avez pas le droit d’en faire perdre. Et si vous avez une gestion équilibrée d’année en année, vous pourrez reconduire votre activité éditoriale avec une relative indépendance.
Pendant toute cette période où j’ai dirigé les éditions Seghers, le groupe Éditis est passé de mains en mains. Il a été vendu par Jean-Marie Messier à Lagardère. Lagardère l’a vendu au baron Seillière (accessoirement marchand de canons). Et puis le baron Seillière, du groupe Wendel, a revendu tout le groupe Éditis, qui a été mis en vente sur le marché européen. On a failli être racheté par le groupe de Berlusconi et finalement, on a été racheté par le groupe catalan Planèta.
La donne a donc considérablement changé au fil des années. On a fini par me dire :
Il n’est plus question d’être à zéro en fin d’année. Il faut dégager dix points, douze points quinze points, dix-huit points comme vos camarades. Si vous n’y arrivez pas, vous disparaitrez. Vous avez le choix entre vous démettre de vos fonctions (vous renoncez à votre salaire et éventuellement continuez bénévolement à diriger Seghers), ou vous soumettre à un licenciement économique (et nous fermerons cette marque).
Pendant trois ans, j’ai été en résistance, proposant toutes sortes de solutions, jusqu’à celle de racheter et de reconstituer avec la famille Seghers une petite société qui reprendrait le flambeau de cette maison magnifique.
On a balayé une à une toutes mes propositions et au bout du compte, ça s’est terminé par un licenciement économique et une mise en sommeil des éditions Seghers.
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Voilà comment les choses se sont déroulées.
Devant cette situation, au cours de l’automne 2009 (mon licenciement date de novembre 2009), j’ai décidé de créer une maison d’édition totalement indépendante, c’est à dire libre de ses choix et de sa politique éditoriale, qui me permettrait de poursuivre mes engagements en direction de la poésie contemporaine. C’est une petite société, avec une salariée, autour de laquelle est née spontanément une association des amis des Éditions, la Presque île, qui rassemble maintenant cent cinquante membres.
La filiation avec Pierre Seghers est forte.
Elle s’exprime parce que les valeurs littéraires de Pierre Seghers : défendre une poésie lyrique et militante, me vont comme un gant. Les éditions Pierre Seghers sont nées pendant la seconde guerre mondiale d’un combat contre l’occupant, contre le nazisme et la collaboration. Je considère que toutes les grandes poésies du monde sont marquées par le double sceau d’une forme d’engagement et de lyrisme, et je me sens de ce point de vue là l’héritier d’Éluard, d’Aragon, de Neruda, de Lorca.
Le deuxième axe de cette filiation est que cette petite maison que nous avons créée se veut une maison d’accueil des poésies du monde. D’emblée, nous l’avons tournée vers l’accueil des poètes étrangers, issus en particulier de pays non-francophones et qui font le choix, pour des raisons politiques ou personnelles, de la langue française. Ils viennent d’Irak, des États-Unis, du Canada, de Haïti, de tous les territoires d’Outremer, de Syrie, (de Suisse et du Danemark pour les parutions prochaines).
La poésie est un art de l’hospitalité qui, à sa manière, doit faire oublier la violence du monde et la brutalité des états.
La manière, par exemple, dont les poètes des territoires d’Outremer, qui sont des territoires issus pour la plupart de la violence, des rapports de domination, des rapports de l’esclavage, de la traite des Noirs, illustrent et défendent la langue française est une magnifique preuve de réconciliation, une façon de faire quelque chose de cette tectonique des peuples et de ces lignes de faille qui scindent l’humanité.
Les poètes ont des choses à dire sur le monde d’aujourd’hui. Prenons un seul exemple très simple : voilà plus d’une génération que les poètes en appellent au réveil des peuples arabes. Ce réveil, cet embrasement, ce printemps des peuples arabes est une surprise pour tout le monde sauf pour les poètes et ceux qui lisent la poésie arabe.
Réjane : Les poètes sont des visionnaires ?
Bruno Doucey : Je crois que la poésie est une force ou une énergie qui nous traverse, que nous sommes, ou ne sommes pas, en état de poésie, en état de recevoir le poème ou de le donner. L’émotion peut être autant dans la réception que dans l’émission, la production du texte poétique. On ne possède rien. De la poésie, nous ne sommes que l’usufruitier temporaire.
Réjane : Offrir la parole est essentiel à vos yeux ?
Bruno Doucey : La pire chose qui puisse arriver à un être humain est d’être privé de paroles. Tant que nous sommes sur cette terre doués de paroles, nous avons la possibilité de nous faire entendre, et surtout d’écouter, d’être en relation avec les autres.
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Les poètes sont souvent les premières victimes des dictatures.
Pour les poètes, la seconde guerre mondiale n’a pas commencé en 1939. Ils étaient déjà en guerre trois ans plus tôt en ayant perdu l’un des leurs, Federico Garcia Lorca, sauvagement assassiné par les franquistes.
C’est le moment où va naître dans le monde entier une espèce de solidarité des poètes. D’Antonio Machado à René Char, de Paul Eluard à Ilia Ehrenbourg en Russie, d’Aragon à Pablo Neruda… je pourrais continuer la liste de ceux qui se sont à ce moment-là unis pour dire non au fascisme.
Pour moi, c’est un moment fondateur du XXème siècle, un moment clé, un moment de bascule qui est très important, que je considère comme la naissance du monde contemporain.
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Réjane : Votre maison a publié deux anthologies de poésie qui accueillent des poèmes rares que seuls, de véritables explorateurs de textes peuvent réunir et rassembler. Avec Christian Poslaniec, qui a réalisé avec vous Outremer, vous n’en êtes pas à un coup d’essai….
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Bruno Doucey : Nous avons réalisé avec Christian plusieurs anthologies aux éditions Pierre Seghers : Duos D’amour, Je est un autre, En rires.
J’étais tantôt co-auteur, tantôt seulement éditeur. Nous sommes avec Christian depuis des années dans ce dialogue autour de la poésie, avec ce même désir d’une part de faire découvrir ou redécouvrir des grands textes littéraires, et d’autre part de faire en sorte que la poésie soit offerte au plus grand nombre.
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Réjane : Les ouvrages qui en résultent présentent les textes poétiques sous une forme ludique donnant vraiment envie d’entrer dans le jeu du langage.
Je tiens à citer en particulier l’ouvrage Duos d’amour, qui avec beaucoup d’audace, de l’humour, mais aussi un véritable ressenti des textes, parvient à mettre en duo poétique non seulement des textes dont les auteurs étaient amoureux dans la vie, comme Hélène et René Guy Cadou, mais aussi des textes d’hommes et de femmes poètes qui ne se sont jamais rencontrés comme, par exemple, Paul Verlaine et Jocelyne Curtil.
En rires est également une anthologie qui présente les poèmes sous une forme inventive puisque les textes sont associés à des couleurs.
Bruno Doucey : À chaque fois, on a cherché à trouver une forme singulière, originale, qui permette ce pas de côté. La poésie permet un changement permanent du point de vue. C’est ce que nous avons fait avec Outremer qui accueille le lecteur par une carte avec la France non pas au cœur du monde mais un peu sur le côté.
Réjane : Dans l’anthologie Outremer comme dans certains de vos ouvrages, apparaît un lien entre la poésie et les sciences. L’histoire, la géographie vont côte à côte avec la poésie.
Bruno Doucey : Je pense que ça relève de cette même idée que la poésie ne doit pas rester cantonnée. On n’écrit pas de la poésie simplement pour le lectorat de poésie. Je ne veux pas dire qu’il ne m’intéresse pas. Mais ce n’est pas pour mes amis poètes que j’écris. C’est pour tous les autres. Quand je fais circuler un manuscrit par exemple et qu’un ami plombier, une amie expert comptable, un copain chef décorateur me disent : Ah, ça c’est formidable ! ça a deux fois plus de valeur que si c’est un ami écrivain ou éditeur qui me le dit. Je l’écoute deux fois plus parce que je me dis ce livre va pouvoir rejoindre un large public.
Je refuse que la poésie soit réservée à une élite. Les enseignants, même malgré eux, jouent souvent un rôle dans tout cela en devenant peu à peu, sous l’impulsion du législateur, des techniciens de l’écriture poétique. Il m’est même arrivé de dire des médecins légistes de l’écriture poétique. Très habiles pour décomposer le texte, en faire l’analyse, le décortiquer, bref, en faire l’anatomie, et puis en même temps parfois incapables d’en faire sentir la vibration. Je me suis rendu compte de ça lorsque j’étais moi-même enseignant, quand j’ai réalisé que je cessais de faire étudier les poètes que j’aimais. Je ne voulais plus toucher à ce que j’aimais parce que j’avais l’impression de l’endommager.
S’agissant de la poésie je crois qu’il faut la déscolariser. Il faut la remettre dans la vie.
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Réjane : Vous devez apprécier les actions de Jean-Pierre Siméon et de tous les acteurs du Printemps des poètes ?
Bruno Doucey : Bien sûr. J’apprécie. Je soutiens. Je salue ce retour de la poésie dans la vie quotidienne des gens. Cette année, Le Printemps des poètes a été beaucoup plus fort. Le vent de la poésie souffle sur la voile de l’indignation, du désir de rencontre, parfois de la colère, et cette année, c’était vraiment perceptible.
Réjane : Pas seulement dans les grandes villes ?
Bruno Doucey : Non. À Foncine-Le-Haut, village de huit cents habitants, j’ai participé à une soirée lecture avec quatre-vingts personnes. Voilà. C’est formidable !
Réjane : Je vous propose en seconde partie que nous nous intéressions, à travers deux de vos réalisations, un récit, et un poème, à Bruno Doucey l’écrivain, qui, du reste, n’est jamais bien loin derrière l’éditeur, tout lecteur ouvrant un livre Seghers ou un ouvrage Doucey pouvant apprécier l’écrivain. Les livres que vous publiez, que vous défendez, que vous portez, dont les textes ne sont pas de vous donc, s’ouvrent en effet sur des textes de votre plume, des préfaces, qui sont à elles seules de petits chefs d’œuvre, et qui, à elles seules, pourraient faire l’objet d’un ouvrage.
Votre activité d’écrivain se révèle aussi, bien entendu, dans vos livres. Ceux-ci sont nombreux, variés. Ils s’adressent tantôt à un lectorat d’adultes, tantôt à un lectorat d’adolescents. Ils sont des récits, des essais, des poèmes, et on les trouve édités dans plusieurs maisons. Si vos propres productions ne sont pas, ou peu, éditées par vous-même, il est frappant de voir combien vos productions personnelles sont en résonance avec les publications de vos maisons.
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Tandis que la maison Doucey publie dans son premier livre le poème Conviction, du poète irakien Salah Al Hamdani (voir aussi son blog), que la dictature de Saddam Husein a contraint à l’exil ( Le balayeur du désert, éditions Bruno Doucey, 2010)…
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… l’écrivain Bruno Doucey publie en 2008 aux éditions Actes Sud Junior un récit (Victor Jara-non à la dictature) honorant la mémoire du chanteur et guitariste chilien, Victor Jara, qui a été une des premières victimes de la dictature chilienne.
Vous aviez douze ans à la mort du chanteur, treize ans quand une chanson a relaté les circonstances de cette mort. Voyez-vous à quelle chanson je fais allusion ? A-t-elle joué un rôle dans votre choix d’écrire ce livre ?
Bruno Doucey : La chanson Lettre à Kissinger de Julos Beaucarne. Je la connais par coeur :
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Je veux te raconter, Kissinger,
L’histoire d’un de mes amis
Son nom ne te dira rien
Il était chanteur au Chili….
J’ai même été en relation avec Julos Beaucarne il y a quelques années parce que je l’ai reconduite dans plusieurs anthologies.
Réjane : La chanson apparaît en 1974 sur l’album Chandeleur septante cinq. Votre livre en revanche est récent ?
Bruno Doucey : Il est récent oui, il a deux ans et demi. C’est un des premiers livres de la collection Ceux qui ont dit non. Je suis très attaché à ce livre et j’ai beaucoup de chance parce qu’il a été traduit dans plusieurs langues : en portugais, en catalan, en coréen. Ce livre qui circule beaucoup m’a procuré et me procure encore énormément d’émotion.
La question que je me suis posée (ce que j’ai raconté c’est la mort de Victor Jara dans le stade de Santiago) : Mais comment peut-on raconter l’horreur (c’est l’horreur absolue), l’enfermement dans le stade, la mise à mort des prisonniers politiques, en rendant le texte possible, supportable et beau, même pour un adolescent ?
Et la seule réponse que j’ai à cette question c’est la poésie. Sa poésie, ses chansons, son théâtre, mais aussi la poésie de Pablo Neruda sont présents dans le livre et apportent, j’espère, une respiration qui rend cet enfermement supportable.
Réjane : Victor Jara venait du peuple ?
Bruno Doucey : Tout à fait. Il était fils de campesinos, de petits paysans qui n’avaient rien, qui ne possédaient même pas la terre qu’ils exploitaient, et son père ne savait ni lire ni écrire.
Sa mère était d’origine mapuche, indienne du sud, et elle a transmis à son fils le patrimoine musical des indiens, l’art de jouer de la guitare, de chanter. Ses parents sont morts alors qu’il était encore fort jeune et très vite, il est devenu la grande voix de la chanson chilienne. On le sait moins mais il était aussi directeur de théâtre, metteur en scène, acteur.
À un moment donné, il fait un choix radical pour la chanson, de manière à pouvoir mettre sa voix et son talent directement au service du pays.
Son engagement aux côtés de Salvadore Allende fait de lui la cible des putschistes du coup d’état du 11 septembre 1973 et une des premières victimes de la dictature d’Augusto Pinochet au Chili.
C’est un destin qui rappelle étrangement celui de Lorca, si ce n’est que Victor Jara était beaucoup plus engagé sur le plan politique que Lorca…
Réjane : …le poète Federico Garcia Lorca, à qui vous rendez hommage en 2010 et 2011 à travers plusieurs ouvrages. Vous relatez sa vie dans le récit : Federico Garcia Lorca-non au franquisme, de la collection Ceux qui ont dit non, chez Actes Sud Junior (2010) et vous lui composez un poème : Oratorio pour Federico Garcia Lorca, qui fait l’objet de deux publications :
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Oratorio pour Federico Garcia Lorca, le cinquième ouvrage des éditions Bruno Doucey, est glissé dans le coffret des quatre premières publications de l’éditeur…
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et il est signé à deux dans un livre d’art (Éditions La Margeride) comprenant une œuvre originale de l’artiste Robert Lobet.
Votre texte me semble se référer à des moments historiques très précis de la vie de Federico Garcia Lorca…
Bruno Doucey : Précis et imprécis à la fois. Lorsqu’il est dans sa cellule, je n’ai fait qu’imaginer la manière dont il convoque les personnages de son théâtre : Irma, cette petite silhouette qui arrive comme ça, qui se glisse par la chatière d’une autre solitude, Marianna, qui est son premier personnage au théâtre.
Il y a un personnage dont je n’ai pas parlé c’est Bernarda.
Les autres personnages féminins : Zita, Yerma, je les trouve formidables. Mais cette femme veuve (personnage de la pièce La maison de Bernarda Alba que Lorca a écrite juste avant sa mort) qui punit ses propres filles, qui les prive de liberté, d’amour, qui les condamne à la détention, à la claustration, m’inspire de l’horreur.
C’est la seule pièce de Lorca que j’ai occultée parce qu’elle me gênait. Et il m’arrive quelque chose de très drôle : le chorégraphe suédois Mats Ek monte un ballet à l’opéra Garnier (La maison de Bernarda, avril 2011) d’après cette œuvre, et on vient de me demander de faire un texte de présentation pour le catalogue de l’opéra. Le spectacle est somptueux. J’ai vu un DVD des répétitions, c’est magnifique. Mais je n’ai pas encore commencé à écrire ce texte, que je dois rendre lundi…
Réjane : Il va nous être bien difficile de vous quitter Bruno Doucey. Nous pourrions en effet vous demander de nous parler du désert ̶ Le livre des Déserts, que vous avez publié en 2006 (Éditions Robert Laffont) et qui présente des itinéraires scientifiques, nous intrigue en effet beaucoup, et L’aventurier du désert, l’itinéraire de Jules Jacques, de publication récente (Élytis 2010), tout autant. Vous pourriez nous relater votre intérêt pour Théodore Monod, qui fait l’objet d’un livre que vous avez écrit en 2010 : Théodore Monod, un savant sous les étoiles ( Éditions Á Dos D’Âne). Vous pourriez, j’en suis certaine, nous captiver, en évoquant avec nous les nouvelles de La cité de sables (Éditions Rhubarbe 2007). Et puis, vous pourriez nous parler de vos poèmes : Poèmes au secret (Le nouvel Athanor, 2006), La neuvaine d’amour (L’Amandier, 2010)… Mais il serait indécent d’abuser plus de votre temps, et vous nous avez, du reste, beaucoup gâtés.
Pour clore, donc, cette interview d’une grande richesse, ouvrant sur des perspectives de lectures multiples plus captivantes les unes que les autres, vous proposé-je que nous nous quittions chaleureusement, à l’aune d’un texte que j’ai choisi pour les lecteurs et dont vous pourriez nous offrir la lecture, un poème : Haïti, 2010, que vous avez écrit en hommage à Georges Anglade et à son épouse, morts à Port-au-Prince le 12 Janvier 2010…
Bruno Doucey : Le tremblement de terre a eu lieu le 12 janvier et j’ai écrit le poème le 13 janvier.. Je partais en Haïti, où se préparait la seconde édition à Port-au-Prince du festival Étonnants voyageurs. J’ai beaucoup d’amis en Haïti. Mon gendre est haïtien. Ma petite fille est haïtienne. Et j’étais bouleversé. Donc j’ai écrit ce texte. Je n’imaginais pas du tout qu’il allait circuler ainsi.
Réjane : C’est un texte que vous laissez libre de droit ?
Bruno Doucey : Oui, je le laisse complétement libre. Il a été repris dans plusieurs publications.
Réjane : Sous la forme numérique ?
Bruno Doucey : Oui. Et il a été publié dans plusieurs anthologies aux Antilles.
Parfois je me dis, vous savez, la poésie, ça devrait toujours être comme ça.
Je ressens profondément le fait que les textes ne nous appartiennent pas. Je ressens ça aussi de plus en plus pour le monde dans lequel on vit. Le sentiment de possession ne m’est pas étranger mais de plus en plus, je trouve que ceux qui ont raison ce sont les indiens, les indiens d’Amérique, qui considèrent que la terre ne nous appartient pas. Qu’elle est juste prêtée comme ça de générations en générations aux hommes. Nous ne sommes que de passage.
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C’est pourquoi j’aime beaucoup le poème de Max Jeanne que nous avons choisi dans l’anthologie Outremer qui montre l’absurdité de ce désir de possession tricentenaire.
Et puis nous construisons. Nous avons construit, nous construisons, des maisons des châteaux qui sont faits pour défier le temps.
Alors que notre vie est si brève.
C’est étrange.
Bruno Doucey lit à voix haute ce poème que nous sommes nombreux à aimer :
Vous pouvez l’écouter en cliquant sur ce lien