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On ne mesure pas la magie d’une forêt

 » Des secrets nous parviennent de la forêt : la force que la grâce des bois peut apporter à une communauté. Cette force et cette grâce sont impossibles à mesurer, mais on peut les connaître et les éprouver : aussi longtemps qu’on reste partie prenante d’un lieu et ouvert sur le monde, on sent bien si ce lieu – ville, maison, forêt – recèle encore cette grâce ou si celle-ci a disparu, si on y a renoncé.

Je vois dans l’art une conséquence parmi d’autres, un indicateur de la richesse d’un lieu. Ni la richesse ni la force ne se laissent quantifier, mais je me dis que l’art, parfois – tel un loup, un grizzly ou un caribou – est révélateur de la force et de la variété d’un lieu. Je sais que le grand art peut naître d’un grand tumulte qui nous incite, au plus profond de nous-même, à ordonner le chaos, à inventer des histoires ordonnées à partir d’éléments de désordre. Et je crois, aussi bien, que le grand art peut naître d’une grande paix, d’un sentiment de stabilité et de sécurité, que des émotions puissantes génèrent un art puissant.

L’art est une réaction à un lieu et à un instant – ce qu’on peut appeler un excès d’émotions et, dans les cas les plus flagrants, une diversité d’émotions. L’art n’est pas une limitation ou un engourdissement des sens – il n’est pas une homogénéisation du monde.

Un lieu est bien portant tant qu’il conserve des espaces naturels.

L’esprit et la communauté humaine de Lincoln County me semblent encore pleins de vigueur, et cette vigueur est due aux espaces sauvages, aux sanctuaires des collines et des monts qui surplombent les villes de Libby, Troy, Eureka et Yaak.

L’art dévale chaque nuit les pentes des montagnes jusqu’à nous. L’art dérive au fil des eaux, des rivières et des ruisseaux.

Comme les ours, dont on dit qu’ils savent habiter deux mondes – le nôtre et celui de l’esprit – parce qu’ils s’enfoncent chaque année sous le sol, parfois six mois de suite, je crois que l’art, s’il ne peut être mesuré, repose quelque part entre le monde de la science, des faits et des mathématiques, et le monde de l’esprit. Je crois qu’il représente une transition, comme lorsqu’un ours s’éveille en avril ou se met à hiberner en octobre ou en novembre.

On mesure le diamètre d’un arbre. On ne mesure pas la magie d’une forêt, ni l’effet produit sur l’esprit par une forêt saine et vigoureuse, qui croît de toutes ses forces naturelles.

Où l’art existe, l’esprit d’un lieu existe. « 

( Le livre de Yaak : chronique du Montana / Rick Bass. – Gallmeister, 2007. – (Collection nature writing) )

Silence….

Vous conseille de lire Rick Bass. Et la merveilleuse collection nature writing de Gallmeister : des trésors à foison…