Archives mensuelles : mars 2008

Eloge de la lenteur par Jean-François Manier, éditeur

« Au risque de n’avoir plus à déguster, dans un avenir proche, qu’une littérature « fast-food », il me paraît urgent de résister aux pouvoirs grandissants des gestionnaires de la culture. Le livre est un tel enjeu qu’il exige d’autres critères de valeur que sa seule vitesse de rotation. Et je crois même que son irremplaçable richesse tient à ses lenteurs, à ses pesanteurs.

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Ce sont ces contraintes qui font du livre cette liberté qui dure. Oui, il faut un autre temps pour le livre : un temps pour l’écrivain face à son oeuvre, pour l’artisan face aux papiers, aux encres, le temps aussi pour le bibliothécaire en ses choix, le libraire en son commerce, comme pour le lecteur en son plaisir. Le temps, sans doute, que mûrissent les rencontres, que s’accomplissent les imprévisibles métamorphoses. Le temps du lent émerveillement.

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Celui de l’urgence d’aimer. »

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Recopié d’une carte postale éditée par Jean François Manier, Cheyne éditeur, 43400 Chambon-sur-Lignon

Pourquoi notre monde n’écoute jamais ses sages ? A propos de Terre Mère de Jean Malaurie…

Pourquoi notre monde n’écoute jamais ses sages ?

Le monde est. Le monde est et les hommes haïssent le monde. La Vie est et les hommes haïssent la vie. Pas tous les hommes.

Existe la gravitation. La loi qui la définit a été découverte par les hommes. Par un homme qui a compris la cause qui a permis à la pomme de tomber.

Le Livre parle d’une pomme originale qui provient de l’arbre de la connaissance. Là est le problème de l’homme : la connaissance. Et son utilisation ensuite…

Ce ne sont que des histoires de pommes, alors ? Presque.

L’homme s’est placé sous le pommier et a cru qu’il était au centre du monde. Il continue à croire qu’il est sur le trône.

 

Le monde est et l’homme passe.

Pourquoi notre monde n’écoute jamais ses sages ?

Dans un très court livre, Jean Malaurie, l’immense aventurier, explorateur, contemplatif et éditeur Jean Malaurie, évoque de nouveau tout ce qui menace notre monde.

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 » Nous sommes des veilleurs de nuit face à une mondialisation sauvage, à un développement désordonné. Si nous n’y prenons garde, ce sera un développement dévastateur. La Terre souffre. Notre Terre Mère ne souffre que trop. Elle se vengera. Et déjà les signes sont annoncés. « 

L’homme hait et le monde passe. Il ne regarde que ce qui se trouve devant lui. Le présent est la seule chose qui existe dans le monde.

Passé et futur ne sont que dans le cerveau des hommes. Et ne leur servent que rarement.

Dans Acide-Arc-en-ciel d’ Erri de Luca, il y a cette phrase :

« Qu’est-il arrivé au monde pour se retrouver à un point tel qu’aucun acte direct ne l’aide, mais que seuls les sacrifices le réconfortent ? »

On n’écoute pas des hommes comme Jean Malaurie, mais on est ému devant l’assassinat de Diane Fossey pendant le temps que dure le succès éditorial d’un livre ou le passage en salle d’un film. Cela nous réconforte de rencontrer une Diane Fossey… Et puis, le temps passe… et les gorilles vont disparaitre…

Il faudrait écouter nos sages. Il faudrait écouter Jean Malaurie et Diane Fossey.

Silence

My Masse critique 1 : Journée lunaire d’Emmanuel Olivier aux éditions L’Altiplano

Merci à ceux qui m’ont supporté“. Telle est la phrase en exergue au premier livre de bande dessinée d’Emmanuel Olivier : Journée lunaire publié par les récentes éditions L’Altiplano. Tel pourrait être aussi le dilemme de Thomas, le personnage dépressif de cette bande dessinée placée sous les auspices de l’astre sélène , qui ne supporte plus sa vie, les autres, la société…

 

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On a tous connu une journée comme celle vécut par Thomas, le héros perdu de cette histoire. Journée sans lumière, journée sans âme. Journée noire et blanche comme le trait et les dessins de l’auteur. Ambiances sombres et quotidien désolant où l’on n’a plus envie de rien. Parfois, au détour du vol, de deux mouches, les pensées de l’auteur semblent se mélanger avec les propos du personnage. Thomas ne sait plus où il en est, proche de la folie, est persuadé que ses cauchemars se réalisent dans la vraie vie. Thomas vivra une journée explosive, libératrice pour atteindre la catharsis qui le libèrera de son quotidien, pour transformer ses cauchemars en rêve, retrouver une certaine sérénité, un autre rythme.

Graphiquement, sur ce premier travail publié, la force de l’histoire permet de faire passer les proportions parfois approximatives des personnages. On privilégiera les cadrages et cette utilisation judicieuse du noir et blanc pour les mises en situation grâce à une multiplication de traits incisifs pour créer du dynamisme.

D’après sa notice bibliographique, Emmanuel Olivier est né en 1983. “Après quelques tâtonnements, il s’est lancé pleinement dans la bande dessinée lors de ses études aux Beaux-Arts d’Épinal. Actuellement en quête d’un emploi, mais guère convaincu par la démarche, aussi commune soit-elle, il se demande, lui aussi, s’il a encore le droit de croire en ses rêves.”

Un jeune auteur à encourager…

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Cette critique est publiée dans le cadre de l’opération Masse critique du site Babelio.

Silence.

C’est le printemps !

Pour le fêter, 5 poèmes de Jean-Pierre Siméon,

directeur artistique du « Printemps des poètes« 
et
… poète.
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Je sais
que nos enfants
les enfants de nos enfants
et leurs enfants encore
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nous demanderont raison
du feu des ombres de la couleur
du désespoir que nous faisons
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je sais
qu’un jour
un homme jettera ses mains
sur son visage
et cherchera dans la mémoire des hommes
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les premiers gestes du malheur
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je sais
qu’une petite fille
neuve et nue
comme l’herbe d’avril
se lèvera dans l’air noir
et redira pour lui
le long poème du monde
dont nous sommes chacun
la douceur et la rime
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J’ouvre la porte
il y a le rideau de la lumière
l’odeur des jasmin
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et ce visage
qui me fait face
comme un soleil
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voilà la forme de ma joie
ma joie et ma douleur
sont celles de tous les hommes
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nul jamais n’est étranger
nul n’est étranger à la terre
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Pour elle
le silence a son geste le plus clair
et la nuit ses branches les plus douces
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elle a les faveurs
simples du jour
comme le fruit du matin
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la rivière et la chance de l’été
l’exigence du secret
tout ce qui est bon pour nous, ses amis
son regard le promet
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son sourire rajeunit le monde
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J’avais ouvert à deux battants
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je jouais par terre dans la chambre
avec mes rêves
comme un enfant
j’attendais tout de la lumière
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le rien de l’air, cela me suffisait
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et soudain la volée des cailloux
la vie la nuit les autres
chacun avait jeté sa pierre
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j’ai ramassé
ces pierres une à une
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et je les ai regardées jusqu’au soir
sans comprendre
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Avançons
nous n’avons rien perdu
de ce qui nous fait grandir
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ni l’énigme du cœur
ni la bonté des arbres
ni le vin de la colère
ni la chance
d’être ensemble
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avançons encore
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le feu mange l’ombre
mais pas l’oiseau
qui la précède
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Extraits du recueil :
Un homme sans manteau / Jean-Pierre Siméon. – éditions Cheyne, 1996.
(Collection Poèmes pour grandir)
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A noter que l’éditeur Cheyne organise tous les ans de merveilleuses lectures buissonnières et de traverse au Chambon-sur-Lignon en Haute-Loire : Les Lectures sous l’arbre.
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Extraits choisis et soulignés par Réjane.
Photos du pays de Réjane (Pays de Gex et rivière La Valserine)

Mon pays des fleuves cachés…

« Mon pays des fleuves cachés » est mon pays. Celui de l’enfance. Celui de mon grand-père Laurent décédé il y a un an.

J’ai rejoint chaque été, et la rejoins encore, cette région secrète, inconnue des touristes, où le grand-père est né, où il a grandi.

Le bruit, ici, n’est pas comme ailleurs. L’odeur sent bon. Les routes sont amusantes, amusées, quand elles essaient d’épouser les contours du relief.
Il y a des souvenirs de carrioles qui dévalent les pentes, de genoux écorchés, de bassins d’orties, dans cette nature là. Il y a du Jura, dans ce coin de l’Ain qui fait de l’œil à la Suisse.
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« Mon pays des fleuves cachés » est le pays où le Rhône commence. On le voit depuis la montagne aller tranquillement dans la plaine.
Autrefois, avant la construction du barrage de Génissiat, on le perdait à l’endroit dit « Les pertes du Rhône. » Ma mère se souvient y être allée enfant.
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« Mon pays des fleuves cachés » est aussi le pays d’enfance du poète Jean Tardieu (1903, 1995), de même que le titre du poème qu’il consacre à ce phénomène.

Le Rhône ne disparait plus aujourd’hui « en enfer ». Mais il a une petite soeur, une rivière de montagne, la Valserine, qu’on perd à un endroit dit : « Les pertes de la Valserine ».

Je vais régulièrement visiter ce lieu lunaire où l’eau court dans le secret de la terre.

A l’instar du poète, je vois dans cette fantaisie de la nature un aspect phare de notre accroche au monde.

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Mon pays des fleuves cachés

« Simandre-sur Suran ! Lalleyriat ! » criait l’employé du train entre Nantua et Bellegarde. Et du fer de son marteau, il frappait sur les roues, dans l’air odorant et glacé.

D’autres noms de mon pays me reviennent, avec leur sonorité acide, qui rafraichit la mémoire…

Demain comme hier, je veux aller, le cœur battant, respirer ma jeunesse dans le fort parfum des sifflantes, sauvages prés, torrents sinueux, scieries de sapins, près de ce lieu profond où, célébrant ses mystères, le Rhône autrefois disparaissait, cheval fantôme, sous les pierres tombales de son lit. Mais rajeuni, sacré par la nuit de ses gouffres, il surgissait plus loin, piaffant au soleil.

Maintenant que son libre galop et ce front courroucé se sont brisés contre un mur de ciment et que son sang jusqu’à Genève dégagé s’est répandu au hasard dans la plaine, sa sœur, la Valserine, Perséphone fidèle, continue à descendre aux enfers pour renaitre écumante.

Toute ma vie est marquée par l’image de ces fleuves cachés ou perdus au pied des montagnes. Comme eux, l’aspect des choses, pour moi, plonge et se joue entre la présence et l’absence.

Tout ce que je touche a sa moitié de pierre et sa moitié d’écume. »

Jean Tardieu
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Réjane
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En savoir plus sur Jean Tardieu ;

Etty a choisi d’aimer…

J’ai lu le journal d’ Etty Hillesum, une vie bouleversée (Seuil, 1985), il y a un an.

etty_livre.jpg

Ce journal, écrit par une jeune femme juive à Amsterdam, retrace deux années intenses de sa vie.

Quand elle commence à l’écrire, en 1941, Etty a vingt sept ans.

En Septembre 1943, elle quitte avec ses parents le camp de transit de Westerbork pour Auschwitz. Elle meurt là bas en Novembre 1943.

On ne sait pas si elle a écrit à Auschwitz. On ne possède rien sur son internement dans ce camp.

En revanche, le document que l’on possède, paru aux Pays Bas en 1981, est le témoignage sensible et moral d’une femme qui sait que l’humanité a commis l’irréparable.

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Comment vivre quand son peuple part mourir dans les camps ?
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Comment vivre quand on sait que l’on va mourir ?
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Lire le journal d’Etty Hillesum, c’est voir une jeune femme :
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Choisir l’amour et rejeter la haine
15 Mars 1941, 9 heures et demi du matin.
[…] rien n’est pire que cette haine globale, indifférenciée. C’est une maladie de l’âme. Si j’en venais à éprouver une véritable haine, j’en serais blessée dans mon âme et je devrais tâcher de guérir au plus vite. »
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Réfléchir chaque jour sur sa place dans le monde
Mardi 25 Mars, 9 heures du soir.
« Pourtant, il faut garder le contact avec le monde réel, le monde actuel, tacher d’y définir sa place, on n’a pas le droit de vivre avec les seules valeurs éternelles (…). Vivre totalement au-dehors comme au-dedans, ne rien sacrifier de la réalité extérieure à la vie intérieure, pas plus que l’inverse, voilà une tâche exaltante. »
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Vivre grâce à la poésie de Rainer Maria Rilke
Mardi 7 Juillet 1943, après-midi.
« J’aimerais avoir lu tout Rilke avant que sonne l’heure de me séparer de tous mes livres […] »

Au fur et à mesure que l’on parcourt les pages serrées du journal d’Etty Hillesum, on comprend. Etty a choisi d’aimer, d’être heureuse, de vivre. On comprend : Etty, dans ses allers retours entre la vie de l’écriture et l’écriture de la vie, réussit. Elle devient invincible.

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Vendredi 3 Juillet 1942, 9 heures et demi du soir.
« […] Bon, on veut notre extermination complète : cette certitude nouvelle, je l’accepte. Je le sais maintenant. Je n’imposerai pas aux autres mes angoisses et je me garderai de toute rancœur s’ils ne comprennent pas ce qui nous arrive à nous, les Juifs. Mais une certitude acquise ne doit pas être rongée ou affaiblie par une autre. Je travaille et je vis avec la même conviction et je trouve la vie pleine de de sens, oui, pleine de de sens malgré tout, même si j’ose à peine le dire en société.
La vie et la mort, la souffrance et la joie, les ampoules des pieds meurtris, le jasmin derrière la maison, les persécutions, les atrocités sans nombre, tout, tout est en moi et forme un ensemble puissant. Je l’accepte comme une totalité indivisible et je commence à comprendre de mieux en mieux (pour mon propre usage, sans pouvoir encore l’expliquer à d’autres) la logique de cette totalité. Je voudrais vivre longtemps pour être un jour en mesure de l’expliquer; mais si cela ne m’est pas donné, eh bien un autre le fera à ma place, un autre reprendra le fil de ma vie où il sera rompu, et c’est pourquoi je dois vivre cette vie jusqu’à mon dernier souffle avec toute la conscience et la conviction possibles, de sorte que mon successeur n’ait pas à recommencer à zéro et rencontre moins de difficultés. N’est-ce pas une façon de travailler pour la postérité ? »

Réjane

L’Odyssée de Guy et Alain…

Pour la deuxième année consécutive, Guy Besse et Alain Margot jouent au théâtre.


Cette année, marionnettistes dans « Issé« , un opéra baroque qui sera donné en Mai prochain au théâtre de Bourg en Bresse (Ain), Alain et Guy étaient l’an dernier récitants dans « Dis-moi pourquoi dans le secret tu soupires et tu pleures » version 2, une polyphonie théâtrale, musicale, et visuelle d’après l’Odyssée d’Ulysse et des paroles d’habitants (conception et mise en scène Géraldine Bénichou).

Nous vivons tous une Odyssée. L’exil, l’incompréhension, la séparation, l’isolement, le mépris, l’abandon, qui d’entre nous n’est pas un héros de l’existence?

L’Odyssée d’Alain est le résumé de sa vie depuis sa rencontre avec Guy.

L’Odyssée de Guy est la synthèse de son existence depuis qu’il a abordé Alain.

Le texte qu’ils ont écrit à l’occasion de cette aventure théâtrale, et qu’ils donnent sur les planches en cette fin de mois de Mars 2007, est un dialogue, le seul duo du spectacle.

D’autres participants viendront se raconter au public. Comme Guy et Alain, ils s’avanceront au bord de la scène. Ils tiendront leur texte à la main. Majestueux. Seuls dans leur peine.

Guy et Alain sont ensemble.Ils se sont avancés au bord de la scène. Ils ont leur texte à la main.

Alain, c’est lui qui commence.

Quand ils ont dit leur Odyssée, il n’est personne du public qui n’ait pas pleuré.

« Bourg-en-bresse. 1988.
Je suis dans un parc
Tout seul. En larmes.
Je n’ai plus rien, je ne sais pas où loger.
Une seule idée : me foutre sous un train.
Dans le vide, on pense à plonger
Et là, il y a des apôtres …..
J’étais sur un banc, à l’autre bout du parc
Quand je l’ai vu pleurer
Je lui ai fait signe de venir vers lui.
On se met à discuter
Je lui dis : j’ai plus rien
Et le Monsieur dit :
« Je m’appelle Guy »
A partir de ce jour,
On s’est plus quittés
Traîner les galoches
Traîner les bredequins
Faire la mangave
Aller à la priante
Aux portes de l’église
Moi d’un côté
Moi de l’autre
Et après on mettait en commun
Le dimanche, jour de messe : la priante
La semaine, devant chez Guillot : la mangave.
Une fois, on s’est quittés trois mois, j’étais à Lyon
Moi, je m’ennuyais tout seul à Bourg
Alors Monsieur descend à Lyon pour me chercher
Je ne le trouve pas, je suis prêt à rentrer
A la gare de Perrache, Monsieur fait une crise d’épilepsie.
Les pompiers, l’hôpital Saint-Luc
et puis on m’envoie manger à la Rosière.
Moi, j’étais justement là, à la Rosière
L’apôtre, il m’a retrouvé, le jour de la Saint Guy.

C’est la seule fois qu’on s’est quittés.
Traîner les galoches
Traîner les bredequins
Faire la mangave
Aller à la priante
Et se prendre une bonne murge
Une bonne murge
Un jour on s’est engeulés
non, on s’est pas engeulés, j’étais saoul
moi aussi j’étais saoul
Moi, je rentre à l’appart qu’on partageait
Moi, je reste couché, dans les chiottes de notre Dame
On m’a retrouvé là,
avec du sang partout
21 coups de couteau
Je me suis retrouvé à l’hôpital.
Moi, ce soir-là, je suis à l’appartement
Les flics entrent : perquisition
Ils m’emmènent au commissariat, ils m’interrogent :
« Dites-nous que c’est vous qui avez voulu le tuer,
et on en parle plus! »
Je dis : »quoi? »
Je ne comprenais rien.
21 coups de couteaux,
il y a eu des complications, j’ai failli être paralysé
Mais quand je suis rentré de l’hôpital : Alain, il était là.
Traîner les galoches
Traîner les bredequins
on s’est jamais quittés.
on s’est jamais quittés.
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Guy Besse
Alain Margot
Introduction de Réjane.

Le regard

Tout ce qui a été dit, écrit, pensé, chanté, peint… ne dépend que d’une chose : le regard.

On pense : Que faire de nouveau qui n’a pas déjà été dit ?

Tout

Tout est toujours à refaire, redire, reformuler… Inventer de nouvelles images ou de nouvelles musiques…

Tout, dépend du regard,

de l’oeil,

de l’angle de vue…

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Silence

La douceur – Le bonheur – La jubilation

La douceur

La douceur est la qualité la moins partagée au monde. Elle est perçue comme une fragilité, pire une faiblesse. Elle serait une arme si justement elle n’était pas l’anti-arme par excellence. Isole celui qui la possède. Qui n’a plus d’autre choix que l’impasse de la carapace. Des années, il faut, pour s’en débarrasser, de la carapace. Et retrouver le chemin… La totalité lutte contre votre douceur. Celle-ci n’est qu’ individuelle, unique et ne rencontre que rarement une autre douceur, différente. Un frisson dans l’échine est sa marque de reconnaissance. La contemplation, son mode de compréhension. La contemplation est ce moment d’ouverture au monde. Une fêlure volontaire. Un début de tolérance, mais, ce mot est trop grand pour nous, humains, qui mourrons souvent de soif près de la fontaine.

Le bonheur

Le bonheur, celui-là, on dirait qu’il a une bonne tête d’images d’Epinal. Il est par essence multiple et indéfinissable. Courant dans le fleuve. Dissimulé et tombant dans la mer dès que l’on veut le canaliser.

La jubilation

Un trop-plein permanent. Un épuisement de la vie par consentement personnel. Un dru désir. Un acte. Un choix.

Silence

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« La douceur est invincible » (Marc-Aurèle)

Lire : Petit éloge de la douceur / Stéphane Audeguy. – Gallimard, 2007. – (Folio, 4618)

 

Nous avons horreur de la liberté…

Le débat sur les limites est un débat biaisé puisque la censure – si ce n’est l’auto-censure – existe bel et bien, en permanence, puisque que l’on est toujours borné par ses limites, celles de sa morale, de son temps, de son pays et le seul progrès dont nous soyons capable est de pousser continuellement les murs qui nous entourent. Nous avons horreur de la liberté et de ce qu’elle signifie vraiment, horreur de la multitude et du choix. Tout, plutôt que de choisir. Grandir ?
Silence

Il n’y avait pas de pureté…

Sègre regardait la feuille de l’arbre, tombée à ses pieds. Brune, comme l’automne. Sègre observait les nervures mortes de l’envolée perdue dans le monde. Combien, étaient-elles ainsi, partie sur les flux et reflux du vent ? Pareilles aux idées, ces mortes balançaient autour de la terre, attendant leur hôte, espérant cette hospitalité. Il n’y avait pas de pureté. Sègre pensait : nous avons besoin d’une gangue, d’impuretés pour résister, pour renaître à nouveau quand le conforme se plaît à nous faire perdre la tête et le sens de nos sens.

Il n’y avait pas eu de quête. Sègre avait pris conscience insensiblement des interactions qui existaient entre lui et le monde, entre lui et les autres, puis les choses, puis les actes et les idées. Toutefois sans trop savoir pour ces dernières, ce qu’il fallait considérer comme le plus important. Tant d’idées dans ce monde et encore plus d’actes, d’actes manqués aussi. Petit à petit cependant, doucement, le chemin de Sègre s’était tracé dans cette jungle inorganisée, ce chaos incontrôlé. Mais, il n’y avait pas eu de quête, il n’y avait pas eu forcément un but au chemin. Le chemin était le but. Il était trop tôt, trop de personnes devaient encore emprunter ce sentier escarpé, et les obstacles continuaient de s’accumuler. S’il y avait progrès, combien de retours en arrière ? Il aimait songer à l’idée de l’estuaire d’un fleuve. Le fleuve se jette à la mer. Toutefois, avant de mélanger l’eau douce à l’eau salée, que de tourbillons. Il rêvait d’introduire un produit fluorescent pour visualiser ces différents courants. Et prendre une photo aérienne. Il lui semblait que c’était exactement cela l’image des idées des hommes. Un fleuve se perdant dans un infini plus grand que lui. Les idées y gagnaient le sel. Une épice de plus. Une saveur.

Silence